Anastasia Richaud est orthophoniste libérale dans les bouches du Rhône et a suivi Martin pendant deux ans, suite à une prescription de la part d’un CAMSP. Pour Martin, le diagnostic de DCSI avait été posé à l’âge de 18 mois puis celui de SEIPA.
Nous l’avons rencontrée et elle a accepté de répondre à nos questions.
1- Dans votre exercice libéral, avez-vous déjà suivi un ou des patient(s) présentant une DCSI ? Ou une pathologie digestive de ce type ?
Orthophoniste en libéral depuis 2014, je n’avais jamais rencontré de patient présentant une DCSI ni autre pathologie digestive. Nous n’avons d’ailleurs jamais abordé ces pathologies durant nos études.
2- Dans quel contexte avez-vous été sollicitée pour la prise en charge de Martin ?
Martin avait 2 ans quand il est venu au cabinet. La plainte principale était des douleurs abdominales insoutenables, une difficulté de prise des repas avec des peurs et des conflits. La déglutition était compliquée. Martin ne mâchait pas et gobait son repas en un temps record. Une conséquence de ce trouble de l’oralité alimentaire a été un retard de langage qui a totalement disparu en quelques mois.
3- Pouvez-vous nous expliquer en quoi la DCSI peut avoir un impact sur l’acquisition de l’oralité ?
Simplement quand un enfant est trop souvent algique lors des repas, ceux-ci vont être vécus de façon traumatisante tant pour l’enfant que pour les parents. Naturellement, face à des situations quotidiennes provoquant des douleurs, l’enfant va tenter de les éviter en utilisant des stratégies comme ne plus mâcher, refuser les outils alimentaires, développer une hypersensibilité ou hyposensibilité sensorielle, se gaver voire refuser toutes prises alimentaires. Les douleurs abdominales quotidiennes provoquées par l’ingestion alimentaire vont être la cause du trouble alimentaire. Chez le bébé, le trouble de l’oralité est peu pris en compte. Il est fréquent de voir un nouveau-né avoir un reflux gastro-œsophagien, une intolérante aux protéines de lait de vache et malheureusement beaucoup de parents nous relatent des épisodes de douleurs lors des repas chez leur enfant. Il ne faut pas banaliser cette douleur, un parent inquiet doit être écouté et un bébé algique doit être soulagé que ce soit des douleurs ayant pour cause une immaturité physiologique ou une pathologie digestive. L’intensité et la récurrence des douleurs lors des repas peuvent engendrer un trouble de l’oralité.
4- Pouvez-vous nous expliquer en quoi la DCSI peut avoir un impact sur le langage ?
Ce n’est pas la DCSI directement qui va générer des difficultés de langage oral mais le trouble de l’oralité. L’oralité alimentaire quand elle est mal ou peu investie peut provoquer un retard de langage et/ou de parole. La sphère oro-faciale est essentielle dans l’alimentation, la respiration et le langage. Une sphère orale mal investie, peu apprivoisée et entraînée, aura des répercussions dans tous ces domaines.
5- Quels types de soins et accompagnements avez-vous mis en place pour Martin ?
Après avoir écouté les difficultés rencontrées par Martin et ses parents, nous avons ensemble réfléchi à un plan de rééducation. L’investissement des parents est indispensable dans la prise en charge. Les parents connaissent leur enfant, il suffit souvent de les écouter pour trouver des solutions aux problèmes. Il est également important d’observer l’enfant afin de le comprendre et de le connaitre, l’oralité est très personnelle et intime ainsi une confiance thérapeute/enfant/famille est essentielle. Pour Martin, nous avons commencé par travailler sur le trouble de l’oralité tout d’abord sur tout le corps puis en se rapprochant de la bouche. Pour Martin, la zone abdominale était très sensible, nous avons utilisé des jeux sensoriels (textures, caresses, comptines gestuelles, jeux corporels, etc.). Les mêmes types de jeux et d’expériences sont proposés autour de la bouche puis à l’intérieur de la cavité buccale. En parallèle, nous avons fait des temps de repas ensemble (repas thérapeutiques), en adaptant les textures alimentaires mais également les ustensiles proposés. Je me souviens que Martin avait tendance à engloutir ses repas, nous avons trouvé des bâtonnets texturés en plastique lui permettant de mettre en bouche de petites quantités tout en stimulant la langue et les joues grâce aux petits picots présents sur le bâtonnet. L’installation et le positionnement de Martin a été adapté et une revisite des codes sociaux liés aux repas a été proposé. Les parents ont testé une alimentation à disposition, à la demande, avec des distracteurs lors des repas (jeux notamment). Nous avons proposé la paille puis le verre avec eau pétillante pour favoriser les stimulations endo-buccales. Nous avons aussi apporté un machouyou qui a été accepté par Martin et lui a offert une mastication efficace. Petit à petit Martin a repris confiance dans ses sensations buccales. Le retard de langage s’est estompé naturellement en parallèle des expériences sensorielles.
6- Les objectifs ont-ils été atteints ?
Martin est un patient assez extraordinaire. Nous avons atteint ensemble les objectifs que nous nous étions fixés. Martin pouvait manger plus paisiblement, les temps de repas était moins conflictuels et les parents étaient enfin écoutés dans leurs difficultés. Martin et ses parents étaient très impliqués dans la prise en charge, ils étaient assidus, essayaient toutes les expériences proposées et faisaient des retours pertinents afin d’ajuster la rééducation.
7- Suite à votre accompagnement de cet enfant, comment pensez-vous qu’on puisse améliorer le parcours de santé d’un enfant avec DCSI ? Avec quels autres types de professionnels cela vous semble important et nécessaire de pouvoir travailler en collaboration ?
Il est impératif pour tous les professionnels de santé d’être humbles et d’écouter attentivement et avec bienveillance les parents. Ils nous apportent toutes les réflexions utiles à une prise en charge de qualité. La prise en compte et l’écoute active des parents permettront une meilleure prise en charge de l’enfant. Quand l’enfant va bien, ses parents aussi. Cette alliance parents/enfant/thérapeutes est primordiale. De plus, une écoute attentive permet une pose de diagnostic plus rapide et ainsi la possibilité de mettre en place une rééducation efficace et précoce. En tant qu’orthophoniste, la collaboration avec le médecin référent spécialisé/pédiatre permet une meilleure connaissance de la pathologie, avec le diététicien, le psychologue et le psychomotricien, une harmonisation de nos compétences réciproques offrant une prise en soin de qualité.
Merci à vous d’avoir répondu à nos questions pour l’AFDCSI.